Si j’estime ne pas avoir à justifier ce que je ressens, je pense utile de l’expliquer. Parce que je ne suis peut-être pas seule dans ce cas, parce que d’autres peuvent peut-être s’y reconnaître sans oser le formuler, craignant de passer des monstres, parce qu’ils ne rencontrent que l’incompréhension de leur entourage.
Oui, j’aime ma Yang, je fais tout pour elle, comme avant, plus encore qu’avant puisqu’elle est désormais seule. Non, je ne l’aime pas comme son frère, je ne l’aimerai jamais comme j’ai aimé son frère. Qu’y puis-je ? Je n’aurais pas voulu qu’il lui arrive ce qui est arrivé à son frère, mais j’aurais préféré le garder lui. C’est comme ça. Elle n’est malheureuse ni matériellement ni affectivement, elle est peut-être même plus heureuse qu’avant puisque les câlins sont plus nombreux et uniquement pour et avec elle. Elle n’a plus à me partager avec ce gros matou qui accaparait mon attention. Pas un instant je n’ai pu imaginer la ramener au refuge, jamais je ne le ferai. Nous sommes sa famille, peut-être pas la famille idéale, mais elle est attachée à moi. Je ferai pour elle comme pour Ying, comme pour Nénette. Elle aura toujours les meilleurs soins, quel qu’en soit le coût, la meilleure nourriture, tout ce qu’il faut pour son bien-être, et je ne partirai toujours pas en vacances pour n’avoir pas à la mettre en pension de peur qu’elle se sente abandonnée une fois encore. Je les ai adoptés tous les deux, pour le meilleur et pour le pire, jusqu’à ce que la mort nous sépare, si je puis m’exprimer ainsi. La mort ne devait pas arriver si vite, si brutalement. Cela devait arriver, je le sais, mais je n’ai jamais imaginé qu’il puisse me quitter après si peu de temps ensemble. J’espérais qu’ils vivent, l’un et l’autre je le précise, au moins aussi vieux que Nénette, disparue dans sa 14e année. Bel âge, même s’il n’est pas canonique, pour une chatte ayant vécu dans la rue, étant FIV+ et ayant un important souffle au cœur. Ying aurait eu encore 6 années à vivre pour atteindre cet âge. Quand il revenait de sa vadrouille dans la rue, je lui disais toujours qu’il devait faire attention car il devait vivre au moins jusqu’à ce que je sois à la retraite, qu’ils étaient mes derniers chats car après eux ce sera un chien, mais que si je ne pouvais pas prendre un chien parce que je serais trop vieille, ce ne serait pas grave puisqu’il aurait été près de moi très longtemps. Ça n’aura pas été le cas. Jeunesse ne veut pas dire longévité, me disait notre véto. Nous ne sommes que trop nombreux à le savoir. P....n de vie de m...e.
Oui, je suis en colère après ma mère qui n’a pas voulu qu’on adopte un vieux chat. Ça n’aurait pas empêché le chagrin de le perdre, mais au moins je ne me serais pas fait d’illusions. Je ne peux pas la blâmer d’avoir voulu me protéger. Mais le remède a été pire que le mal. Je ne lui en veux pas de ne pas s’investir plus ou de n’avoir pas autant de chagrin que moi, je lui en veux seulement de n’avoir pas voulu un vieux chat. Elle, elle aurait aimé prendre un chien, un petit comme elle le proposait. Je m’y suis opposée, d’une part parce que je n’aime que les grands chiens (labrador, malinois, beauceron...), et surtout parce que, chose à laquelle elle n’avait pas pensé, le chien serait seul lorsqu’elle partirait en vacances, pendant que de mon côté, je partirais au boulot à 6 h du matin pour ne rentrer que vers 18 h. Un chat peut rester seul tout ce temps, pas un chien. Et à quelle heure aurait-il fallu que je me lève pour aller le promener avant de partir au boulot, ça, elle n’y avait pas pensé non plus. Elle a bien voulu en convenir, raison pour laquelle nous avons pris des chats. Etant deux à adopter, il fallait que nous soyons d’accord. On a décidé de prendre des chats dont le pelage serait différent de celui de Nénette, pour ne pas avoir l’impression de la revoir sans cesse dans les nouveaux. Ying et Yang m’ont plu, et à elle aussi.
Je suis en colère après les gens du refuge qui ne proposaient Ying et Yang à l’adoption qu’ensemble. Ils pensaient qu’ils étaient inséparables à les voir toujours scotchés l’un à l’autre. Mais ça, c’était au refuge, au milieu de tous ces chats, eux qui n’ont jamais aimé leurs congénères, et avec le traumatisme d’être abandonnés. Eux non plus, je ne peux pas leur en vouloir. Chez nous, ils n’ont jamais été collés l’un à l’autre, ou alors pour embêter l’autre, jamais aucun ne s’est préoccupé de savoir où était l’autre. Quand Ying est rentré à la maison, pour quelques heures seulement, après son hospitalisation, Yang nous a même paru déçue qu’il soit de retour. Et quand ma mère et moi sommes revenues seules de chez la véto, la cage vide, sans son frère, Yang ne l’a pas cherché.
Je suis en colère après les vétérinaires qui, après les 24 h d’angoisse que je venais de vivre à l’annonce du diagnostic, se sont montrés rassurants, voire optimistes quant à sa guérison. Peut-être faudrait-il seulement, selon ce que donnerait une autre échographie, lui enlever un rein, ce qui ne l’aurait pas empêché de vivre. J’ai vécu 4 jours d’espoir, 4 jours à penser que mon loulou allait revenir à la maison, que tout redeviendrait comme avant. Impossible de leur en vouloir, les analyses montraient une nette amélioration et je sais qu’ils ont fait tout ce qui pouvait être fait. Seul un miracle aurait pu le sauver, mais les miracles n’existent pas.
Je suis en colère après moi aussi, parce que je n’ai pas su le protéger, parce que je n’ai pas pu le sauver, parce que je ne lui ai pas offert ce que je lui avais promis : une belle et longue vie. A ma décharge, il n’a jamais montré aucun signe de maladie. Même notre véto, avec l’expérience qu’elle a, n’avait rien décelé d’anormal.
Alors oui, aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir encore ma fifille qui, elle, va bien, j’ai la chance d’avoir encore cette petite mère à aimer. Cette «chance», je l’ai provoquée en les adoptant tous les deux. Et si Ying avait été adopté seul, j’aurais déjà adopté un autre chat pour avoir la chance d’avoir encore un poilu à chérir. Mais si j’ai cette chance d’avoir encore Yang, j’ai aussi la malchance de ne pas pouvoir tourner la page. Ils sont arrivés ensemble chez nous, avec les mêmes dates anniversaires : naissance, adoption, même les rappels des vaccins. Le seul anniversaire que nous honorerons séparément est celui de leur mort. Ying et Yang sont indissociables l’un de l’autre, et ce n’est pas une nouvelle histoire qui va s’écrire avec Yang seule. C’est la même histoire qui continue, amputée d’un des membres. Il faut faire avec, ou sans selon comme on appréhende la chose, du mieux que l’on peut, en le vivant le moins mal possible, en faisant le moins de dégâts possible. Comme me le disait une amie, l’histoire est désormais bancale, boiteuse. Une nouvelle histoire ne pourra s’écrire que lorsque Yang ne sera plus et que j’adopterai un autre poilu. Mais il n’y a pas urgence, loin de là . Ce jour-là seulement, je pourrai construire une autre histoire, peut-être plus intense, peut-être moins, mais je pourrai tourner la page. L’élu de mon cœur sera alors un chat, un chien, un hamster peut-être, qui sait, mais ce sera une autre histoire, une nouvelle histoire.
Voilà , ça c’est la façon dont je vis les choses actuellement. Après, on peut me juger, me blâmer, me tourner le dos ou comprendre, qu’importe. On peut penser que je n’ai pas de cœur, que je suis dure, que Yang aurait dû être adoptée dans une meilleure famille que la nôtre, une famille qui l’aurait aimée plus que nous, que je ne mérite pas de l’avoir à mes côtés. Dans une autre famille, peut-être est-ce elle qui aurait été la favorite, et Ying qui aurait été moins aimé, nul ne peut savoir. Mais ça c’est la vie, la réalité de la vie. On peut aimer ses enfants, ses parents, mais avoir une préférence pour l’un d’eux. Quelle qu’en soit la raison, on n’aime jamais deux êtres à l’identique.
Si j’ai blessé ou choqué certains d’entre vous, ce n’était pas le but recherché. Je n’ai voulu qu’exprimer mon ressenti de ce que je vis aujourd’hui, avec ma sensibilité et mes mots.
Excellent journée à toutes et à tous. Marie-Catherine |